« Bunga bunga ». L’expression n’a pas été inventée en Italie – elle fut forgée en 1910 au Royaume-Uni pour les besoins d’un canular raciste usurpant l’identité de la famille impériale d’Abyssinie, puis reprise par Mouammar Kadhafi comme définition de son harem privé –, mais elle est aujourd’hui liée au pouvoir berlusconien.
Le scandale du Rubygate, qui éclate en 2010 lors du troisième et dernier mandat (2008-2011) du Cavaliere comme Président du conseil italien, avait été précédé de signes avant-coureurs. L’année précédente, la liaison du chef du gouvernement, alors âgé de 72 ans, avec une certaine Noemi Letizia, 17 ans, avait déjà défrayé la chronique. Et poussé au divorce madame Berlusconi, fatiguée du spectacle « des vierges qui s’offrent au dragon ».Lire aussi ETYMOLOGIQUE – D’où vient le terme « bunga bunga » ?
Dans cette affaire, le principal rôle féminin est tenu par Karima El-Mahroug, fille d’immigrés marocains, dite « Ruby Rubacuori » (« Ruby la voleuse de cœurs »). Alors qu’ils viennent de l’interpeller pour une sombre affaire de vol, les policiers milanais ont la surprise de recevoir un appel de Silvio Berlusconi. La jeune fille serait la nièce d’Hosni Moubarak et il faudrait éviter l’incident diplomatique. Ruby est relâchée, mais l’enquête de la police révèle au grand jour le cafardeux folklore, au croisement du kitsch érotique et du proxénétisme organisé, cher au septuagénaire.
Harem
Le rite « bunga bunga » se tient dans le sous-sol de la villa de Silvio Berlusconi, près de Milan, aménagé en boîte de nuit avec bar, canapés et barre de lap dance sur l’estrade. Calé dans un fauteuil blanc large comme un trône, « Papi » fait comparaître ces demoiselles – parfois nues sous une blouse d’infirmière, ce qui provoquera la protestation officielle d’un syndicat de personnels de santé – avant de choisir celle avec laquelle il se retirera. « C’était vulgaire et pas drôle. Silvio avait l’air d’être sa propre caricature, en plus moche et plus triste », raconte, sur écoute, l’une des quelque trois cents participantes recensées sur une période d’un an et souvent mineures, comme Ruby.
Le parquet de Milan a ouvert une enquête pour « homicide par empoisonnement » après la mort mystérieuse d’Imane Fadil, la jeune femme qui avait dévoilé les dessous des soirées « bunga-bunga » de Silvia Berlusconi. Les premiers examens ont en effet révélé la présence dans le sang de la jeune femme de valeurs de métaux lourds cent fois supérieures à la normale. En outre, les médecins légistes ont décelé des traces de radioactivité et une chape de plomb entoure sa dépouille qui repose dans la morgue de Milan. Le mystère ne s’arrête pas là. Durant son agonie, qui a duré du 29 janvier, date de son hospitalisation, jusqu’au 1er mars, et alors qu’aucun diagnostic ne permettait de lui administrer des soins, la jeune femme avait fait part de sa crainte d’avoir été empoisonnée. Contrairement aux procédures, l’hôpital n’a pas averti les autorités judiciaires, qui n’ont donc pas instruit la plainte de la patiente.
Née il y a 34 ans dans une famille marocaine modeste, Imane Fadil était arrivée à Milan à la fin des années 2000 dans l’espoir de devenir mannequin. Elle apparaît dans des programmes TV de seconde soirée, friands de jeunes femmes court vêtues. Toutefois, les ambitions de la jeune Marocaine ne se limitent pas au monde de la vie nocturne milanaise. Elle adore le foot et veut devenir journaliste sportive. Quand son impresario Lele Mora – qui sera ensuite condamné pour avoir alimenté les bunga-bunga en jeunes femmes mineures – lui propose d’assister aux soirées du Cavaliere, elle pense que c’est « peut-être » la chance de sa vie.
Broyée par le système judiciaire italien
Imane Faldi se rendra huit fois à la villa San Martino, la demeure où Silvio Berlusconi tenait ses « dîners élégants » en compagnie de dizaines de jeunes femmes. Tous les témoignages apparus au cours des différents procès la décrivent comme une femme très discrète qui n’a pas participé aux secondes parties des bunga-bunga – elle prenait ses distances avec les autres « papy-girls » en refusant le téléphone sécurisé que voulait lui fournir un homme des services secrets pour assurer sa présence aux soirées du président du Conseil.
En 2010, le scandale des bunga-bunga éclate avec l’arrestation de Ruby, une mineure, elle aussi marocaine, dont Silvio Berlusconi s’était entiché. La presse ne fait pas de différence entre les invitées occasionnelles qui faisaient office de décor, comme Imane Fadil, et les « olgettine » (du nom de « l’Olgetta », la résidence où Silvio Berlusconi avait installé son harem personnel). Assimilée à une demi-mondaine des bunga-bunga, la jeune femme sait que sa carrière de journaliste sportive est terminée. Lorsque le procès contre Berlusconi pour prostitution de mineur s’ouvre, elle se considère comme une victime collatérale des événements. Imane Fadil se porte partie civile et révèle le contenu des « dîners élégants » : travestissements porno, strip-tease, lap dance, enveloppes d’argent cash et bagarre des filles pour finir dans le lit du Cavaliere. Et elle refuse les transactions offertes par les avocats du président du Conseil.
Elle avait annoncé en janvier la publication d’un livre
Une erreur. Imane Fadil est broyée par la machine judiciaire italienne. Les protagonistes du « bunga-bunga » sont condamnés pour proxénétisme… mais Silvio Berlusconi est acquitté. Dans le procès Ruby 3, ou l’ex-président du Conseil est jugé pour avoir acheté de faux témoignages, la cour refuse la constitution en partie civile de Fadil parce que c’est l’État, et non elle, qui a été lésé. Là voilà sans argent, sur la liste noire des télévisions. Elle vit dans un squat rempli de rats. En janvier dernier, à la suite d’un nouvel échec devant les tribunaux, elle annonce la publication d’un livre riche de nouvelles révélations sur les « bunga-bunga ».
Est-ce suffisant pour imaginer qu’elle a été assassinée ? Le procureur de Milan n’a pas écarté la thèse d’un empoisonnement accidentel. La jeune femme était psychologiquement instable, allant jusqu’à comparer les bunga-bunga à des messes orgiaques sataniques. En campagne, Silvio Berlusconi a réagi : « Je suis navré quand une personne jeune meurt. Je n’ai jamais connu cette personne et je ne lui ai jamais parlé. Ce que j’ai lu concernant ses déclarations m’a toujours fait penser qu’il s’agissait de choses inventées et absurdes. »
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